LES ARCHIVES DU FIGARO - Il y a 50 ans, le petit-fils du richissime magnat du pétrole était kidnappé à Rome par la mafia calabraise.
Serait-ce la dernière facétie d’un jeune homme trop gâté? Quand, le 12 juillet 1973, Gail Harris reçoit une demande de rançon pour son fils John Paul Getty III, elle a des raisons de douter du sérieux de l’affaire. Son «Paolino», surnommé le «Golden Hippie» mène une vie de bohème, à Rome où il a grandi. Le gamin de 16 ans aux longs cheveux roux, le visage piqueté de taches de rousseur, a abandonné ses études pour faire de la peinture. Il vend des bracelets et autres objets de sa confection sur la Plazza di Spagna et la Plazza Navona, très fréquentée par les hippies. C’est là qu’on l’a vu pour la dernière fois dans la nuit du 9 au 10 juillet.
Mais la suite prendra un tour plus dramatique. Car les ravisseurs de la mafia calabraise vont se heurter à une famille bien plus retorse que prévu: les Getty, un clan miné par l’argent, maltraité par un patriarche âpre aux gains et sans affection. «Une assemblée de monstres comme les meilleurs romanciers sont seuls capables d'en inventer», écrit à l’époque Le Figaro. L’histoire est si rocambolesque et pathétique qu’elle a inspiré à Ridley Scott un long métrage en 2017, Tout l'argent du monde et la mini-série Trust produite par Danny Boyle en 2018.
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L’homme «le plus riche du monde» refuse de payer
Le montant de la rançon est faramineux. Dix milliards de lires (17 millions de dollars) sont exigés. La mère du garçon, divorcée de John Paul Getty II réfugié à Londres depuis la mort par overdose de sa deuxième femme deux ans plus tôt, est dans l’impossibilité de réunir une telle somme. Son ex-mari rechigne à payer. Le grand-père, fondateur de la dynastie, cloîtré dans son manoir de Sutton Place au Royaume-Uni, refuse de débourser un «penny». Pour ne pas encourager le banditisme et le rapt de ses quatorze autres petit*-enfants, se justifie celui qui est considéré comme «l’homme le plus riche du monde» par le magazine Forbes et le Guinness Book.
Une contre-proposition est faite à 200 millions de lires. Un certain M. Chase est chargé par la famille de mener les négociations. Les truands baissent leur prétention à 3,3 milliards puis 2. Le montant de la rançon est inhabituel et instille le doute. Dans un article bien plus tardif, le 1er décembre, Le Figaro rappellera que le kidnapping est alors chose presque courante en Italie. «Dans cette histoire, il y a quelque chose qui frise l'amateurisme, analysent les carabiniers. Comme si les coupables se trouvaient dans l'entourage du jeune Getty. Peut-être même est-ce une blague qui a très mal tourné.»
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Une oreille dans une enveloppe
Mais le 10 novembre, un journaliste du quotidien italien Il Messagero reçoit une enveloppe. À l’intérieur, dans du coton, une oreille et une mèche de cheveux. «Mme Gail Getty, qui s'est rendue dans les locaux de la préfecture, a tout d'abord reconnu l'oreille comme étant celle de son fils, en raison de la forme du pavillon auriculaire», relate à l’époque Le Figaro. Les experts attestent que c’est l’oreille d’un homme vivant, coupée au rasoir ou au couteau. Douze jours plus tard, un autre journal romain, Il Tempo, reçoit cinq photos du jeune disparu. On y décèle un détail glaçant: il est bien amputé de l’oreille droite.
Les photos sont accompagnées d’une lettre reproduite en partie dans les colonnes du Figaro. Les ravisseurs «essorilleurs» semblent choqués des mauvaises manières de la famille Getty. «Nous vous envoyons cette lettre pour vous prouver la “vergogna” (la honte) qui couvre cette famille, la plus riche du monde, et qui a démontré être de “Cain”, et a démontré également être la plus dénaturée du monde entier», écrivent-ils. Le jeune captif, lui, implore sa mère dans une deuxième missive de verser l’argent avant qu’on ne lui coupe l’autre oreille. «Grand-père, je te supplie d'oublier mes caprices, mes folies, conclut-il. Paie et je serai toujours celui que tu veux que je sois.»
Une mère pleine de contradictions
Le journal italien brocarde «la mère sans larmes» qui aurait mal reçu les journalistes venus la réveiller à 5 heures du matin pour lui montrer les photos et la lettre déchirante de son fils. Le Figaro, qui la rencontre également, en fait un portrait plus nuancé: «Elle nous a paru une femme courageuse, quelles que soient ses innombrables contradictions, raidie à force de volonté dans une lutte affolante, prise entre son ex-mari et les ravisseurs et décidée à tout faire jusqu'au bout pour avoir vivant son “Paolino”». Elle va, en effet, jusqu’à interpeller le président Nixon pour qu’il use de son influence sur l’inflexible grand-père.
Et il finit par céder. Le magnat du pétrole, qui fait payer les communications à ses amis en visite avec un téléphone à jetons installé dans son manoir, avance 2,2 millions de dollars, le montant maximum pouvant être défiscalisé, et prête le million manquant à son fils. Avec un taux d'intérêt de 4 %.
Le 15 décembre, Paul Getty, qui a fêté ses 17 ans en détention dans les montagnes calabraises, est retrouvé sur l’autoroute Salerne-Naples. Le « ragazzo tout en or» est pâle, les traits tirés, une oreille en moins mais vivant. Le répit n’est que de courte durée. Quand il appelle son grand-père pour le remercier, le vieil homme refuse de lui parler.
Traumatisé par son enlèvement, le gamin devenu jet-setteur new-yorkais sombre les années suivantes dans la drogue et l’alcool avant de faire une overdose en 1981 qui le laisse paralysé et aveugle. Il meurt en 2011, à l'âge de 54 ans.
